La nuit obscure de l'âme


Bien chers Frères et Sœurs sur le Sentier,

Ce soir, avant de m'endormir, je fais le point comme à l'accoutumé... Or, je m'aperçois qu'il arrive souvent que des membres après avoir eu l'impression de gravir rapidement le sentier de la connaissance, après avoir baigné dans l'Euphorie de la nouveauté, se retrouvent d'un seul coup devant l'abîme. Malgré des efforts soutenus, tout ce qu'ils peuvent faire semble contrarié par une force inconnue et invisible. Cela se manifeste même dans leur vie quotidienne, à tel point qu'ils sont tentés d'abandonner.

Ce stade est connu en Ésotérisme. Nous l'appelons "la nuit obscure". Elle survient à chaque étape décisive de notre développement, à chaque initiation donnée sur les plans subtils. Le doute nous envahit, les choses matérielles se détraquent, la lassitude nous prend. La question fatidique qui est posée est : "Sommes-nous capables de digérer l'acquis, sommes-nous capables d'aller plus loin sans mettre notre psychisme en péril ? "

Les Esséniens furent les premiers à appeler cette période de : "Nuit obscure de l'âme". Les pères de l'Église reprirent ce sens sous l'expression "d'aridité spirituelle". Ils désignaient en cela une période de désolation de l'âme se produisant dans la conscience intérieure. Puis vinrent les alchimistes qui appelèrent cette période : "nuit noire de la matière" et, en effet, elle précède la lumière nouvelle de l'initiation intérieure et personnelle tout comme l'aube précède les premiers rayons du matin.
Nous pouvons encore comparer cette période aux "Enfers initiatiques". Dans ces moments nous nous retrouvons devant les portiers des mondes inférieurs Égyptiens lorsqu'ils posaient les questions avant la pesée de l'âme. Et, il nous faut la vivre ainsi. Chaque cherchant se doit de vivre cette épreuve comme un renforcement de sa foi, comme une expérimentation de ce qu'il a appris depuis le commencement de son chemin.

Ce doute est d'une certaine façon une sauvegarde quant à l'avenir. Je pourrais faire la comparaison avec le montagnard qui n'aurait fait que des parois sans difficultés. Il prendrait certes confiance en lui, mais cette confiance pourrait se révéler dangereuse si elle l'amenait à n'avoir aucune peur devant la paroi et ainsi le rendre inconscient du danger. Il en est souvent de même pour celui qui gravit le sentier. L'énergie, la force, le pouvoir qu'il sent s'installer progressivement en lui a tendance à renforcer son Ego, son orgueil. Le piège est d'autant plus facile que le début du chemin se passe principalement sur les plans intellectuel et mental. Le cherchant est d'abord émerveillé par la Connaissance, tant et si bien qu'il en oublie son travail d'oratoire et sa pratique personnelle. Passant par la période de nuit obscure, il est d'un seul coup dépouillé de sa vanité. Il peut ainsi prendre conscience de ses faiblesses ou chuter définitivement si le but qu'il visait, n'était que le pouvoir. Nous pouvons la considérer comme un réajustement de notre mental.

Les anciennes écoles des mystères mettaient cette période en scène dans leur rituel de probation en faisant passer les candidats par des épreuves qui testaient leurs peurs. Il en est de même dans les courants Templiers où l'on dit que le Chevalier doit demander l'ouverture des portes des mondes inférieurs à Belzébuth. La symbolique est la même, l'aspirant chevalier doit vaincre ses peurs afin de maîtriser l'état qu'il convoite. Le bandeau noir que l'on pose sur les yeux du postulant est un reste de ces rites initiatiques. Le fait de rendre aveugle le candidat aux mystères le met en garde contre la nuit obscure qui s'annonce.

Cet état psychologique par lequel passe le postulant va lui permettre de transmuer ses craintes, sa timidité, en une force qui lui permettra de transformer en Connaissance ce qu'il a appris au cours de ses études. Il appartient à chacun de dépasser cette alchimie qui correspond à l'œuvre au noir.

Le fait que je vous en parle aujourd'hui ne veut pas dire que cela va vous arriver de suite. Vous en sentirez des effets à chaque palier, de plus en plus marqués jusqu'à vous retrouver dedans sans comprendre comment cela est venu. Dans les régions septentrionales, la nuit tombe sans prévenir... Mais la surprise vient surtout de ce que l'on ne prend pas garde aux signes avant-coureurs. Pris dans l'engouement de la connaissance neuve, nous laissons passer une suite de petits signes qui sont autant de signal d'alarme tout au long de notre route, mais le cherchant se croit toujours le plus fort, L'énergie nouvelle qui l'habite lui donne un sentiment d'invulnérabilité qui lui fait prendre ces signes pour des peccadilles.

Le premier de ces signes avant-coureurs est un regain d'activité. Une agitation croissante l'envahit mais qui lui laisse chaque fois un sentiment d'insatisfaction. Nous démarrons un projet qui nous faisait envie depuis longtemps, tout semble fonctionner correctement mais l'envie n'y est plus... Nous voulons plus, mieux... Nous sentons en nous même un désir autre, de plus en plus grand qui rend ce que nous vivons sans importance, amer. Un désir latent nous habite qui peu à peu devient notre Maître, II réclame satisfaction et nous met dans une situation de fébrilité émotive... Il nous replonge progressivement dans notre mental inférieur et cela nous empêche d'avoir une vision claire de ce que nous désirons. C'est l'époque où l'on cherche le gourou, le Maître, à n'importe quel prix... C'est le moment où l'on risque le plus de tomber dans une magie pas toujours "très claire" où, si l'on est honnête envers soi-même, on se rend compte que l'on cherche avant tout le pouvoir. Un peu comme le jeune conducteur aura tendance à appuyer sur l'accélérateur afin de maîtriser le véhicule nouveau qu'il possède alors que l'ancien cherchera avant tout le confort de ce véhicule. Mais ce véhicule ne va jamais assez vite... Alors... ! Dans ces moments, nous cherchons le groupe pour montrer nos réalisations, mais l'insatisfaction que nous avons de ces réalisations nous pousse le plus souvent à chercher la solitude. Notre Ego est le seul à comprendre notre besoin de puissance ! Le seul capable d'entendre l'impuissance qui est la nôtre !

Dans ces moments, nos émotions nous empêchent de voir la réalité de notre état, toute aide extérieure tombe à plat, le cherchant vit la contradiction permanente du but qu'il veut atteindre et qu'il impose aux autres ainsi que son incapacité à être. Comment faire pour en sortir me demanderez-vous ? Il est trop tard aurai-je tendance à vous répondre... C'est avant qu'il aurait fallu réagir car il est toujours préférable de prendre une maladie à son origine, faute d'avoir eu une action préventive.

Encore une fois, c'est dans nos oratoires qu'il nous faudra trouver la solution. C'est en mettant en œuvre notre volonté afin de descendre en nous-même. Dans ce lieu, face à notre miroir, nous oserons nous regarder et nous poser les bonnes questions, faire le bilan de notre vie face à des questions essentielles : Que signifie la vie pour moi ? Quelles raisons, autres que celles émotives, ai-je pour vivre ? Est-ce simplement une piété religieuse ou mystique qui me pousse à vivre ? Est-ce la peur de la mort ? Quels sont réellement les buts que je poursuis ?

Seule l'honnêteté intellectuelle peut nous sortir de cet état !

Lorsque ceci sera fait, revenez aux bases de tout cherchant. Méditez sur les valeurs fondamentales de la quête...
   - « La compassion, qui est l'opposée de toute passion égoïste et avide, permettra au cherchant de modifier sa vibration afin de se rendre disponible aux Hommes. »
   - La tendresse, antithèse de l'égocentrisme, qui permettra au cherchant de ne plus diriger ses pensées vers lui mais vers les autres. C'est cet état de sentiment qui est souvent appelé "miséricorde".
   - L'impassibilité, antithèse de la convoitise et du désir, qui permettra à l'aspirant serviteur de se libérer des résultats Karmiques de ses activités vis à vis d'autrui. Cette impassibilité se rapproche davantage d'une qualité du mental supérieur que les deux précédentes.

Cela nous ramène à nos trois cerveaux : la compassion, antithèse de l'émotif ; la tendresse, antithèse de l'amour narcissique et l'impassibilité, antithèse de l'intellect raison. Nous nous rendons ainsi compte que chaque cerveau contient en germe les deux autres.

Par ce travail sur vous-même, vous vous libérerez de l'emprise de cette "nuit obscure" en clarifiant vos buts, en les situant à nouveau vers l'autre et non plus aux seules fins de votre Ego qui ne cherche qu'à se rassurer au travers de pratiques magiques, divinatoires ou de contacts divers tout en vous donnant l'impression d'œuvrer pour le collectif.

L'ère du Verseau, pour laquelle nous devons nous préparer nous demande d'être vigilant et rigoriste (encore une fois, à ne pas confondre avec raideur). L'homme du Verseau devra devenir le Maître-serviteur du collectif, celui qui dépassera l'œuvre au noir par sa volonté de servir avant tout. Il avancera parce qu'il aura su reculer, céder sa place à d'autres sans calcul. En lui, l'Amour sera devenu l'athanor, le feu divin qui transmute toute chose sans excès.

Que l'Amour de notre Divin Maître réside toujours en vous.

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